Dès lors qu’une personne décide d’entrer dans la sphère commerciale, elle va être nécessairement soumise tant à un statut particulier (celui du commerçant qui comporte des droits mais aussi des obligations) qu’à un régime juridique particulier (régime de l’acte de commerce distinct de l’acte civil). Ainsi par exemple, le commerçant va-t-il être soumis à une présomption de solidarité, à une prescription plus courte qu’en droit civil, à l’obligation de tenir une comptabilité, à celle de s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés, etc. Face à de telles dérogations au droit commun, face à de tels impératifs, il n’est pas rare que l’exercice d’une activité commerciale se fasse en commun. En effet, il est toujours plus rassurant d’être au moins deux plutôt que tout seul dans une aventure commerciale. L’activité économique est même souvent exercée par un couple, d’autant que ce dernier peut constituer un terrain propice au développement et à la pérennité d’une telle activité et que le temps où, dans le couple, seul l’homme travaillait et subvenait aux besoins du ménage est largement dépassé et révolu. Mais, la forme du couple peut revêtir des réalités fort disparates. Dans un contexte du renouveau de la notion de famille, le mariage n’est plus la seule forme d’union possible. Il se trouve concurrencé, évidemment par le concubinage qui n’emporte lui aucune conséquence particulière, aussi et surtout par le pacte civil de solidarité (PACS ci-après), né en 1999 et largement rénové par la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités. Si donc le couple peut être le terrain privilégié d’une activité commerciale, surtout dans ps*s des entreprises familiales, il emporte du reste des conséquences importantes sur le statut du commerçant, qu’il ait choisi de se former et d’exister dans les liens du mariage (I) ou au contraire qu’il ait préféré, à mi-chemin entre une vie maritale et une union libre, un PACS (II).
I- L’exercice de l’activité commerciale au sein du couple marié
Être commerçant sans être marié est une chose. Etre commerçant et être marié en est une autre. Indéniablement, le mariage entraîne pour le statut du commerçant des changements notables (A). Réciproquement, l’activité commerciale influence les relations du couple, à tel point que même si un seul des deux époux est commerçant, il y a de fortes chances pour que l’autre époux participe à l’activité de son conjoint sans pour autant revêtir la qualité de commerçant. Aussi, le législateur est intervenu pour prendre en considération la participation du conjoint à l’activité commerciale (B).
A/ L’influence du mariage sur l’activité commerciale
Depuis que les hommes et les femmes sont placés sur un pied d’égalité dans l’exercice de l’activité commerciale (art. 223 C. civ.), cette dernière peut recouvrir une multitude d’hypothèses : seul l’époux est commerçant, seule l’épouse est commerçante, les deux sont commerçants dans le même commerce, les deux sont commerçants dans des commerces distincts, etc.
Quant aux pouvoirs des époux, tout dépend naturellement de leur régime matrimonial. Ainsi, en cas de séparation de biens, l’époux commerçant, propriétaire donc du fonds de commerce, a le même statut qu’un concubin, qu’un commerçant non-marié : il a sur son exploitation une plénitude de pouvoirs, sous réserve du cas où le conjoint du commerçant, non-commerçant par définition, aide son conjoint dans son activité (voir B). Sous le régime de la communauté, si le fonds appartient à l’un des deux époux en bien propre (car acquis avant le mariage ou en cours en cas de succession ou de donation), la situation est identique à la précédente. Enfin, en cas de fonds de commerce commun (créé en commun, acquis en commun, sauf remploi de biens propres), l’article 1421 al. 1er C. civ. dispose que «chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer, sauf à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion. Les actes accomplis sans fraude par un conjoint sont opposables à l’autre » (al. 1er) et que « l’époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d’accomplir les actes d’administration et de disposition nécessaires à celle-ci » (al. 2), « le tout sous réserve des articles 1422 à 1425 » (al. 3). Ainsi, conformément à l’art. 1424 C. civ., « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations ».
Quant aux dettes des époux, « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu’il n’y ait eu fraude de l’époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s’il y a lieu » (article 1413 C. civ.) ; « les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220 » (article 1414 C. civ.) ; « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres » (art. 1415 C. civ.). Après la dissolution, «Chacun des époux peut être poursuivi pour la totalité des dettes existantes, au jour de la dissolution, qui étaient entrées en communauté de son chef» (art. 1482 C. civ.), mais « Chacun des époux ne peut être poursuivi que pour la moitié des dettes qui étaient entrées en communauté du chef de son conjoint » (art. 483 al. 1er C. civ.).
Enfin, quant aux publicités, le décret du 9 mai 2007 a supprimé l’obligation de déclarer, lors d’une demande d’immatriculation ou d’inscription modificative, les points relatifs à la situation matrimoniale, au conjoint et au régime matrimonial sur le RCS (art. R. 123-37, R. 123-46, R. 123-54 et R. 123-60 C. com.). Cela étant, toutes ces informations figurent sur les registres de l’état civil correspondants, l’art. R. 123-37 oblige à mentionner le conjoint qui collabore effectivement à l’activité commerciale dans les conditions de l’art. R. 121-1 C. com., l’art. R. 123-90 impose de mentionner les actions entreprises sur le fondement de l’art. 1426 à 1429 C. civ., et l’art. R. 123-21-21 C. com. oblige la personne physique à déposer, lors de son immatriculation au RCS, sous sa responsabilité une attestation de délivrance de l’information donnée à son conjoint commun en biens sur les conséquences des dettes contractées dans l’exercice de sa profession sur les biens communs (attestation établie conformément à un modèle définie par arrêté).
Hormis ces règles générales, l’activité commerciale influence en retour le couple marié, en particulier dans le statut du conjoint du chef d’entreprise.
B/ L’influence de l’activité commerciale sur le mariage : le cas du conjoint du commerçant/chef d’entreprise
Lorsque des époux exercent en commun une activité commerciale, il est rare qu’ils aient tous les deux le statut de commerçant. En général, le fonds de commerce appartient à un seul des deux, et le conjoint ne fait qu’aider, que participer, sans avoir la qualité de commerçant. Cela rappelle la présomption mucienne selon laquelle en pareille situation la femme qui exerçait le commerce avec son mari était présumée simplement être une aide et les biens acquis par elle étaient présumés l’être par le mari, de sorte qu’en cas de faillite de ce dernier, les biens en question pouvaient être appréhendés par les créanciers. Cette présomption a été abrogée en 1967. Mais, face à la pression fiscale, la tentation est toujours grande de ne pas déclarer le conjoint qui participe à l’activité. Longtemps, cette entraide n’a donné lieu à aucun statut particulier. Elle s’inscrivait dans le cadre du devoir d’assistance de l’art. 212 C. civ., ce qui présentait l’inconvénient de priver le conjoint de tout statut protecteur, notamment de le priver d’une retraite décente, en particulier en cas de séparation ou de divorce. Une loi de 1982 avait tenté d’y remédier. Mais, c’est la loi PME du 2 août 2005 qui offre au conjoint du commerçant trois statuts dès lors qu’il participe à son exploitation.
Le conjoint du commerçant n’est donc pas en tant que tel commerçant (art. L. 121-3 C. corn.). Mais, conformément à l’art. L. 121-4 I C. com., le conjoint du chef d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale qui y exerce de manière régulière une activité professionnelle peut être collaborateur, salarié ou associé.
Ces trois statuts répondent à des définitions précises et engendrent l’application de régimes juridiques distincts.
Ainsi, le conjoint collaborateur est celui qui ne perçoit pas de rémunération et qui n’a pas la qualité d’associé au sens de l’art. 1832 C. civ. (art. R. 121-1 C. com.). En ce qui concerne les sociétés, le statut du conjoint collaborateur n’est autorisé qu’au conjoint du gérant associé unique ou du gérant associé majoritaire d’une SARL ou d’une SELARL (L. 121-4 II) dont l’effectif n’excède pas 20 salariés (art. R. 121-3 C. com.). Il est réputé avoir reçu mandat du commerçant pour accomplir au nom de celui-ci les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise (L. 121-6 al. 1er C. com.). Il ne saurait engager sa responsabilité personnelle dans les rapports avec les tiers (L. 121-7). Il bénéficie de certains droits, notamment à l’assurance vieillesse.
Le conjoint salarié bénéficiera de la législation du travail. La jurisprudence estime qu’il n’est pas nécessaire qu’il se trouve dans un lien de subordination.
Le statut de conjoint associé n’est possible que s’il existe une société au sens de l’art. 1832 C. civ. Mais, une telle société est possible simplement entre deux époux, d’autant plus que l’art. 1832-1 C. civ. l’autorise même si leurs apports sont uniquement constitués de biens communs. Lorsqu’un époux emploie des biens communs pour en faire apport à une société, son conjoint doit en être averti car, dans certaines sociétés, il peut revendiquer la qualité d’associé pour la moitié des parts (art. 1832-2 C. civ.).
Ces trois statuts sont distincts. Cela étant, pour être effectifs, il faut qu’ils soient mentionnés au RCS : le statut du conjoint doit être déclaré au RCS ; à défaut de choix, et en cas de participation, il sera automatiquement considéré comme collaborateur. Autres points communs : art. L. 121-5 C. com. : « Une personne immatriculée au répertoire des métiers ou un commerçant ne peut, sans le consentement exprès de son conjoint, lorsque celui-ci participe à son activité professionnelle en qualité de conjoint travaillant dans l’entreprise, aliéner ou grever de droits réels les éléments du fonds de commerce ou de l’entreprise artisanale dépendant de la communauté, qui, par leur importance ou par leur nature, sont nécessaires à l’exploitation de l’entreprise, ni donner à èai7 ce fonds de commerce ou cette entreprise artisanale. Il ne peut, sans ce consentement exprès, percevoir les capitaux provenant de telles opérations ».
«Le conjoint gui n’a pas donné son consentement exprès à l’acte peut en demander l’annulation. L’action en nullité lui est ouverte pendant deux années à compter du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté ».
art. 831 C. civ. : « Le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s’il y a lieu, de toute entreprise, ou partie d’entreprise agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d’une telle entreprise, même formée pour une part de biens dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à l’exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement. Dans le cas de l’héritier, la condition de participation peut être ou avoir été remplie par son conjoint ou ses descendants.
S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers ».
Toujours est-il que si le conjoint se présente comme le véritable maître de l’affaire, comme un véritable coexploitant, il encourt la qualification de commerçant de fait : il se verra opposer toutes les règles du droit commercial, en particulier la mise en procédure collective sur ses biens personnels (mais il ne s’agit pas selon la jurisprudence d’une simple extension de procédure).
Le couple marié qui décide d’exercer en commun une activité commerciale entraîne l’application de règles particulières, qui peuvent même se prolonger après le mariage. Ainsi, l’art. 1387-1 C. civ. dispose : « Lorsque le divorce est prononcé, si des dettes ou sûretés ont été consenties par les époux, solidairement ou séparément, dans le cadre de la gestion d’une entreprise, le tribunal de grande instance peut décider d’en faire supporter la charge exclusive au conjoint qui conserve le patrimoine professionnel ou, à défaut, la qualification professionnelle ayant servi de fondement à l’entreprise ». De la même manière, un couple pacsé qui décide d’exercer le commerce en commun va entraîner l’application de règles tout autant particulières.
II- L’exercice de l’activité commerciale au sein du couple Pacsé
La loi du 23 juin 2006 relative aux successions et libéralités a réformé en profondeur le PACS, de sorte que les pacsés peuvent être considérés aujourd’hui comme des quasi-conjoints de manière générale. Cela rejaillit évidemment sur l’activité commerciale (A). Toutefois, quelques différences majeures subsistent, notamment au regard du statut du conjoint du commerçant (B).
A/ L’influence du PACS sur l’activité commerciale
Quant aux pouvoirs des pacsés, tout se passe comme s’ils étaient mariés sous le régime de la séparation. En effet, la conclusion d’un PACS n’a aucune incidence particulière sur la situation d’un commerçant d’ores et déjà établi : le commerçant est pleinement propriétaire de son fonds sur lequel il a la plénitude des pouvoirs ; son partenaire n’a aucun mot à dire, même pour les actes les plus graves. Il en va de même, et c’est une des innovations de la loi de 2006, lorsque le fonds a été acquis après la conclusion du PACS. La loi de 2006 a en effet supprimé la présomption spéciale d’indivision qui était inscrite dans l’ancien art. 515-5 al. 2 C. civ. Certes, les partenaires peuvent toujours opter pour une convention spéciale d’indivision des acquêts selon l’art. 515-5-1 C. civ.
Mais, le régime de séparation des biens devient la règle, sauf pour les dettes contractées pour les
besoins de la vie courante.
Quant aux dettes des pacsés précisément, l’art. 515-4 nouveau ne prévoit, comme avant la
réforme de 2006, de solidarité que pour les dettes afférentes aux besoins de la vie courante. Il faut
dès lors une convention inverse pour que le pacsé soit tenu des dettes professionnelles de son
partenaire.
Enfin, quant aux publicités, comme désormais en matière mariage, le PACS ne figure pas au RCS. Il n’y a d’ailleurs jamais figuré. C’est ainsi plus un alignement du mariage sur le PACS que l’inverse, même si l’art. 515-3-1 nouveau du Code civil oblige à mentionner le PACS en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire (en plus de la publication aux greffes du TI de la résidence commune des partenaires).
L’influence du PACS sur l’activité commerciale est par conséquent infime. Elle l’est d’autant plus au regard du pacsé qui participe à l’activité de son partenaire.
B/ L’influence de l’activité commerciale sur le PACS : le cas du partenaire du commerçant
L’article L. 121-4 C. com. qui prévoit trois statuts protecteurs du conjoint du chef d’entreprise qui participe à l’exploitation économique (droits professionnels et sociaux, reconnaissance du travail accompli pour la bonne marche de l’entreprise familiale) ne s’applique ni au concubin du chef d’entreprise ni à la personne liée à lui par un PACS. La loi est claire : elle ne parle que du conjoint, ce qui juridiquement correspond aux seules personnes mariées. Plus exactement, seul le statut de collaborateur leur est dénié. La Loi du 15 novembre 1999, inchangée sur ce point par la réforme de 2006, précise qu’ils sont affiliés au régime de protection sociale dès lors qu’ils remplissent les conditions de droit commun prévues à cet égard. Ils sont soit salariés (art. L. 784-1 code du travail ancienne numérotation qui les exonère de l’existence d’un lien de subordination) soit associés s’il existe une société (mention au RCS). Simplement, le projet de loi de modernisation de l’économie prévoit d’étendre le statut de collaborateur aux pacsés (art. L. 121-8 nouveau du Code de commerce) mais pas aux concubins (encore qu’un rapport sur cette extension a été commandé au gouvernement par le parlement). Pour l’heure, seuls les pacsés et concubins du chef d’entreprise agricole peuvent accéder au statut du conjoint (art. L. 321-5 C. rural).
Enfin, comme précédemment, le pacsé participant peut se révéler être un véritable commerçant de fait (sauf inscription en conséquence au RCS) et subir ainsi tous les désavantages qu’une telle qualification peut engendrer.
Donc, le couple n’existe pas juridiquement. Il faut raisonner en termes de mariage, de pacs ou de concubinage. Mais, le couple existe commercialement ce qui intensifie positivement et négativement la relation. Parce qu’une telle réalité économique est incontestable, et parce que le pacsé est un quasi-conjoint, il faudrait peut-être permettre au pacsé de l’associé d’une SARL par exemple de pouvoir revendiquer, comme en matière de mariage, la qualité d’associé pour la moitié des parts sociales (même s’il est possible de lui octroyer des parts d’industrie s’il fait apport de son fonds de commerce).