Il convient, pour appréhender l’ordre public et les bonnes mœurs dans une relation adultère de préciser la portée (I) et d’apprécier le bien-fondé (II) de la règle, suivant laquelle n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire.
I) L’abandon de la contrariété aux bonnes mœurs dans la gratification de la relation adultère
La validité des libéralités ayant pour cause le maintien de la relation adultère doit être analysée (a) avant d’envisager sa transposition en droit contractuel de la famille et des personnes (b).
a) le sort des libéralités ayant pour cause la formation ou la reprise d’une relation adultère.
En décidant que n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire, la première chambre civile semble avoir mis fin à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation suivant laquelle les libéralités entre concubins étaient nulles lorsqu’elles avaient pour cause impulsive et déterminante la formation, le maintien ou la reprise de relations immorales
Rares sont les auteurs qui considèrent que la première chambre n’ayant visé que la maintien de la relation adultère, les libéralités qui auraient pour cause la formation ou la reprise, c’est-à-dire l’établissement ou le rétablissement de cette relation, parce qu’elles feraient présumer l’existence de relations monnayées et qu’il s’agirait plutôt d’un acte à titre onéreux, ne sauraient bénéficier du même régime.
Nombreux sont les commentateurs qui estiment au contraire qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre la maintien et la formation ou la reprise de la relation.
Ainsi, comme l’écrit le professeur Champenois* On ne voit pas ce qui justifierait un traitement différent des deux situations. Si la volonté de soumettre une relation adultère n’est pas contraire aux bonnes mœurs, pourquoi la volonté de créer cette situation le serait-elle ? Mais il serait artificiel de considérer que la poursuite est licite parce que le mal est fait alors que la création du lien va peut-être consommer ou provoquer la séparation des époux. La mise en œuvre d’une telle distinction serait hasardeuse et ne ferait sans doute que retarder le moment de la libéralité. Quant à une appréciation d’ordre moral, elle ne peut qu’être la même dans les deux cas ».
Le professeur Patarin estime à cet égard qu’il ne serait guère justifié de frapper de nullité la donation accompagnant la formation ou la reprise de relations qui peuvent être naturellement des événements stimulant le désir et le plaisir de faire un présent tandis que le professeur Groutel observe que la persistance de cette relation placera vite l’affaire sur le terrain de son maintien.
En ce sens, Esmein avait depuis longtemps fait remarquer que « toute donation à une concubine, sauf celle qui intervient lors de la rupture du concubinage, est faite avec le désir qu’il se perpétue. La cause s’apprécie au moment de l’acte, ce qui ne permet pas de découvrir a posteriori une cause morale à un acte qui obéissait à une volonté immorale. Peu importe donc ce qui s’est passé après. Le dévouement aimant de la concubine qui aurait accompagné jusqu’à son décès celui qui l’aurait acheté ne rendrait pas sa pureté au marché initial. Et ce même si la libéralité est testamentaire, c’est-à-dire révocable jusqu’au dernier jour ».
b) La transposition en droit contractuel de la famille et des personnes
Il ne semble pas faire de doute que la solution retenue pour l’adultère doit être étendue au concubinage sous toutes ses formes et que ce qui est reconnu valable pour un concubinage hétérosexuel doit l’être aussi pour un concubinage homosexuel, celui-ci ne pouvant plus être considéré comme immoral ou illicite puisque le PACS le légalise et par là-même le légitime.
En revanche, il est certain que ce qui demeure immoral et dégradant, c’est qu’un être, une femme, échange son corps contre des cadeaux ou de l’argent et que la rémunération d’un commerce sexuel, le prix du stupre qui s’apparente à un contrat de prostitution restent illicites.
Comme l’écrit le professeur Grimaldi : « II est permis d’espérer que sera maintenue la nullité d’une libéralité visant à rémunérer des relations sexuelles. L’état des mœurs qui invite à considérer le concubinage et le mariage comme deux modalités de vie commune n’a pas pour corollaire la commercialisation du corps humain. Une chose est le concubinage, autre chose est le commerce charnel : il n’y aurait aucune contradiction à ce que fut validée la libéralité qui trouve sa cause dans la vie commune espérée présente ou passée mais que soit annulée celle qui trouve sa cause dans l’espérance, la poursuite ou la rétribution de simples relations sexuelles. La concubine et la danseuse ne relèvent évidemment pas de la même catégorie et c’est la mission des juges du fond que de s’employer à les clarifier. En tout cas, cette situation se justifie par tant de considérations morales et de bon sens que mieux vaut la maintenir en acceptant les aléas de la mise en œuvre que de l’abandonner ».
C’est dire qu’en matière de morale sexuelle, les bonnes moeurs ne peuvent être totalement licencieuses et que la règle posée par la première chambre civile concernant le maintien d’une relation adultère ne saurait suffire à couvrir le caractère rémunératoire de la libéralité.
II) Le renouveau de l’ordre public civil dans la gratification de la relation adultère
C’est sous le visa des articles 1131 et 1133 du Code civil, dont la violation est invoquée par la première branche du moyen, que la première chambre civile a posé, sans pudeur, que n’était pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire. L’on est ainsi naturellement conduit à s’interroger sur ce que doivent être les bonnes mœurs (a) au regard desquelles s’apprécie la validité des libéralités entre concubins et ce que doit être le contrôle des mobiles inspirant de telles libéralités (b).
a) La notion de bonnes mœurs
L’article 1133 du Code civil précisant que « la cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public », c’est naturellement au juge qu’il revient, en l’absence de définition légale, de déterminer sous votre contrôle ce que sont les bonnes mœurs au regard desquelles s’apprécie la licéité de la cause.
Il est donc surprenant de voir la première chambre civile affirmer que n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire.
Si le concubinage est entré dans les mœurs au point d’être officiellement reconnu par la loi, l’adultère n’en reste pas moins, selon l’opinion commune, contraire aux bonnes mœurs. Ainsi, il n’est pas encore entré dans les mœurs de tromper son conjoint et le concubinage adultère reste perçu par la majorité du corps social, même s’il ne suscite plus la même réprobation morale qu’autrefois, comme une entorse aux bonnes mœurs.
L’argument selon lequel les bonnes mœurs au sens d’ordre public moral sont, dans le droit positif actuel, en régression constante, la société s’écartant de plus en plus de certains impératifs moraux traditionnels, ne convainc pas : la pratique de l’assurance-vie, le courtage matrimonial, l’action en réparation de la concubine adultère obéissent à des paramètres économiques et financiers qui leur sont propres qui ne sauraient servir de repères pour définir un nouvel ordre social lorsque c’est le sort de l’institution même et des obligations nées du mariage qui sont en jeu. Et il est difficile de comprendre comment la reconnaissance légale du concubinage et l’aménagement du divorce devraient, comme si c’était le but recherché par le législateur, contribuer à banaliser l’adultère alors qu’aux termes de l’article 212 du Code civil, les époux se doivent mutuellement fidélité.
En revanche, la jurisprudence de la Cour de cassation n’a jamais fait de l’adultère un critère d’appréciation de la validité des libéralités entre concubins.
Encore convient-il d’observer que ces libéralités entre concubins adultères n’étaient valables que si celles-ci ne portaient plus atteinte au devoir de fidélité (ou n’y portaient qu’une atteinte assez peu grave), l’acte ne pouvant avoir pour objet que de réparer un préjudice ou d’exécuter un devoir de conscience, c’est-à-dire d’entériner la rupture.
Mais, si le devoir de fidélité prescrit par l’article 212 du Code civil est méconnu en cas d’adultère, ne vaut-il pas mieux ne pas considérer, ce qui est illicite, c’est l’adultère et non la libéralité.
Se trouve ainsi posée la question du contrôle des mobiles inspirant les libéralités entre concubins.
b) Le contrôle des mobiles inspirant les libéralités
Le Code civil ayant levé l’interdiction de principe qui frappait les libéralités entre concubins, c’est en se plaçant sur le terrain de la cause que la jurisprudence a depuis longtemps posé que la licéité des libéralités entre concubins devait s’apprécier au regard des mobiles ayant inspiré l’auteur de la libéralité et que les libéralités entre concubins n’étaient frappées de nullité que si elles avaient pour cause impulsive et déterminante soit la formation, le maintien ou la reprise des relations immorales, soit leur rémunération.
C’est à cette jurisprudence ancienne que la première chambre civile a mis fin en posant que « n’est pas contraire aux bonnes mœurs la cause de la libéralité dont l’auteur entend maintenir la relation adultère qu’il entretient avec le bénéficiaire ».
Il est parfaitement légitime que la doctrine se soit interrogée sur la valeur d’une jurisprudence qui laissait en définitive au pouvoir souverain des juges du fond l’appréciation des mobiles du disposant en fonction d’un critère relevant du procès d’intention.
Comme l’observait si justement le doyen Savatier : « A ce compte ne suffirait-il pas d’un peu de psychologie pour se trouver amené à confisquer systématiquement tous les cadeaux d’amant à maîtresse et réciproquement? Comment exiger en effet de l’amant qu’il fasse pudiquement dans sa mémoire la nuit sur ses amours passées présentes ou futures lorsqu’il gratifie sa maîtresse ? Et comment vouloir que celle-ci se refuse mentalement à établir le moindre lien entre le bienfait qui la comble et les faveurs qu’elle a accordé ou accordera»… «car enfin où est la libéralité faite entre amants et anciens amants dans laquelle il n’entre pas tout au moins un parfum de reconnaissance galante ? Il faut avoir le courage de dire que la libéralité entre concubins est toujours dans une certaine mesure rémunératoire et qu’on est ici en présence d’une différence de degré plutôt que de nature entre les générosités admissibles et celles qui cessent de l’être ».
Ainsi, la position initiée par la Première chambre civile, le 3 février 1999 visant à abandonner tout contrôle des libéralités entre concubins pour n’en retenir que l’intention libérale est ici confirmée.
comment peut-on prevenir l’outrage aux bonnes moeurs